Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       PARU DANS  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 22 - 2020

 

Las Cases - À l'heure du "Manuscrit retrouvé"

Conférence de Jean-Pierre Gaubert - 16 novembre 2017
Centre National et Musée Jean Jaurès - Castres - Tarn
par Christiane et Bernard Vialelle


Parce qu’il échappe aux normes, parce que son histoire est insolite pour ne pas dire exceptionnelle, Las Cases pose problème : qu’est donc ce petit bonhomme qui a eu le culot de se proposer à l’Empereur pour le suivre à Sainte-Hélène ? Un calculateur ? Un opportuniste qui trouve ainsi l’occasion de réaliser ce que les journalistes appellent un scoop afin de gagner beaucoup d’argent ?

L’annonce de la parution du « Manuscrit retrouvé », alors que l’exposition de Castres allait s’ouvrir, apporta l’occasion de rebondir sur un sujet qui ne cessera jamais de passionner dès lors qu’il concerne, en fait, moins la personnalité de Las Cases que celle de Napoléon, présentée à travers le regard observateur en même temps qu’attendri de celui qui se présente autant comme son secrétaire que comme son confident. Au bout du bout, n’oublions pas la politique qui divise ceux qui se réclament de la vieille royauté et ceux qui ont choisi l’homme nouveau, dilemme deux siècles plus tard toujours évoqué.

EMMANUEL DE LAS CASES

- Emmanuel de Las Cases -
« Mémoires du comte de Las Casas » - 1818 - Bruxelles.

 

À propos du Mémorialiste, l’empathie active subsiste dans le terroir où il a vu le jour. Il est reconnu jusqu’à sa démarche de fils de province « qui monte à Paris » comme l’un de ses enfants glorieux. En 1967, Gaston Poulain, Conservateur du Musée Goya-Jaurès de Castres, lui consacra une exposition qui fut un événement comme l’avait été au siècle précédent l’inauguration en 1865 de la statue de Lavaur.
Las Cases sortait des limbes d’un Passé un peu oublié pour rejoindre l’époque moderne.

Plus près de nous, la sensibilisation du colonel Raymond Abrial, depuis sa retraite de Dourgne puis le relais pris à son décès par Francis Carrade alors maire de Lescout, tous deux « voisins » de Blan lieu de naissance de Las Cases, aboutit à la création d’une association des Amis de Las Cases à qui l’on doit l’obélisque rappelant, à quelques dizaines de mètres de son « château », la présence et le parcours du Mémorialiste. Ce monument inauguré en 1995, au terme d’un colloque présidé à Revel par Jean de Viguerie, précéda en 2003 aux éditions Loubatières, une nouvelle biographie du Mémorialiste.
Enfin, l’exposition réalisée au Centre National et Musée Jean Jaurès de Castres s’inscrit à la suite d’une activité entretenue depuis par l’organisation de conférences, publications, célébrations d’anni-versaires, etc. du fait principalement des sociétés culturelles de Revel, Sorèze, Lavaur, Castres et Albi. On ne saurait enfin être complet si l’on n’ajoutait qu’elle doit beaucoup à l’activité inlassable de Christiane et Bernard Vialelle, un couple d’Angers ayant des attaches tarnaises.

JP-GAUBERT

 

Jean-Pierre Gaubert
Auteur de « Las Cases, l’abeille de Napoléon »
Loubatières - 2003.

 

 

Tout au long de ces manifestations, la personnalité du Mémorialiste ne cessa d’être présentée, liée au contexte de son origine. C’est ainsi que la marque du Languedoc fut avancée, et plus précisément du proche Lauragais, vaste plaine soumise dans le passé aux invasions, aux épidémies, au mouvement des esprits et des idées dont le Catharisme avant les guerres de Religion et son cortège de malheurs. Dans ce pays agricole, grenier à céréales de la région, conjonction de vents dominants de l’ouest aquitain, du sud pyrénéen et de l’est méditerranéen dont le célèbre autan, les ruraux, soumis aux réalités du sol et du temps, sont observateurs, opiniâtres et travailleurs, constants dans l’effort, sachant relever la tête après chaque coup dur. L’enfant Las Cases, aîné d’une famille qui s’honore d’un passé militaire aux seize générations précédentes mais qui est alors amoindrie par les circonstances des temps, se réclamera de ce terroir où il resta les huit premières années de sa vie, qu’il n’oublia jamais et où il revint chaque fois qu’il le pût.

Lui aussi fera face à tout au cours du siècle parmi les plus mouvementés de notre histoire nationale. De petite taille et de santé d’abord fragile, doté d’une émotivité qui le rend sensible à tout et éveille une intelligence vive que va nourrir une mémoire exceptionnelle, ses études au collège de Vendôme avant l’École militaire de Paris et son orientation vers la Marine, témoignent d’une préparation active à la suite de sa vie. On se souviendra qu’il participa, à 15 ans, aux combats devant Gibraltar, naviguera aux Antilles, connaîtra Boston, Terre-Neuve etc., avant d’obtenir en 1789 son brevet de lieutenant de vaisseau, dernière promotion que signa Louis XVI.
En 1791, il rejoint l’armée des princes. On sait la désillusion qui suivit. Heureux de gagner sain et sauf l’Angleterre, il y restera dix ans, prêt dans un premier temps à reprendre les armes. Épargné du drame de Quiberon par une opération chirurgicale impromptue comme il avait été épargné, quelques années plus tôt, du sort tragique de l’expédition La Pérouse qu’à son grand dam il n’avait pu rejoindre à temps, il parvint à tirer son épingle du jeu en composant un Atlas historique, généalogique, chronologique et géogra-phique qui témoigne autant de son esprit d’entreprise que de sa capacité à faire front à l’adversité. Son travail, sans cesse amélioré, lui vaudra une réputation authentique et le bénéfice d’une vraie aisance.

Rentré en France en 1802, il est peu à peu gagné par la remise en ordre du pays sous la direction du Premier Consul Bonaparte. Engagé dans l’armée qui contient les Anglais devant Anvers, son ralliement lui vaut d’être nommé chambellan puis maître des requêtes au Conseil d’État. Approchant alors l’Empereur, sa réserve initiale se transforme en admiration. Il lui est confié d’importantes missions. Pour autant il ne sort pas du rang, désarmé par son émotivité devant le Maître et perdant les moyens de se faire valoir pour obtenir le grand emploi qui répondrait à ses ambitions et à ses capacités. La première abdication lui ôte tout espoir d’aboutir. Parti se consoler en Angleterre, il est heureux de retrouver, au retour de Napoléon de l’île d’Elbe, sa fonction de chambellan et une promotion au rang de Conseiller d’État récompensant sa fidélité. Mais l’embellie des Cent Jours s’achève par le désastre de Waterloo qui met fin à l’Empire.

C’est alors que l’intuition de Las Cases lui dicte un coup de génie : il propose à Napoléon de « l’accompagner dans ses destinées ». L’Empereur qui projette une retraite en Amérique accepte, d’autant que Las Cases parle anglais. Pour ce dernier, c’est le tournant de son destin. Journaliste, chroniqueur, écrivain-historien dans l’âme, il a entamé un journal quotidien contenant ses observations à proximité du monarque déchu. Intelligent, sensible, courtois, son rôle grandit sur les divers bateaux de l’exil, le Bellérophon d’abord, le Northumberland ensuite. Il se fait apprécier par Napoléon qu’il parvient à convaincre de lui dicter ses campagnes militaires pour vaincre l’ennui de l’oisiveté et lui devient chaque jour plus proche.

À l’arrivée à Sainte-Hélène Las Cases lui est indispensable et c’est ce dernier, seulement, qu’il retiendra auprès de lui aux Briars, son premier lieu d’exil en attendant que Longwood soit en état de recevoir tout son entourage. Si Las Cases éprouve la joie de n’avoir jamais été aussi proche du récent maître du monde ce n’est pas moins au prix de fatigues car la tâche est rude. « Sire j’ai perdu mes yeux à vos campagnes d’Italie sans avoir eu l’honneur d’y avoir participé… » dira-t-il. Les dictées ne sont pas tout ; il reste son journal quotidien où il consigne les faits de chaque jour en fidèle greffier ainsi que les paroles de Napoléon sur tout sujet indépendant des dictées. Ce journal est sa partie personnelle, celle à laquelle il est le plus attaché. Pour y parvenir, il mobilise son fils de 15 ans Emmanuel-Pons qui, lui aussi, s’usera à un travail de copiste.

 Napoléon, tout en se livrant librement sur tous sujets, sait que ses propos sont l’objet de notes de Las Cases en qui il a toute confiance. Un jour, entré dans sa chambre, il lira quelques pages de son journal en cours, se dira intéressé, promettra à Las Cases de lui donner des anecdotes inédites et de revoir l’ensemble avec lui mais en retardera toujours le moment. Au final, Las Cases arrêté par le gouverneur Hudson Lowe, le 25 novembre 1816, pour avoir essayé d’adresser clandestinement en Europe des correspondances, n’en aura pas trouvé l’occasion. Tous ses papiers sont saisis dont la lettre que lui avait adressée Napoléon et son journal, matière du futur Mémorial, qu’Hudson Lowe envoie à Londres à Lord Bathurst, son ministre de tutelle, refusant de le remettre à Napoléon qui avait fait remarquer qu’il était un agenda précieux dont il avait besoin. Las Cases rejoindra l’Europe fin 1817 en pensant avoir peu de chances de retrouver son travail.

Cependant, ce manuscrit originel que Lord Bathurst a fait recopier lui est rendu en 1821 après la mort de Napoléon alors qu’il n’espérait plus le récupérer. Aussitôt, il décide de le publier après l’avoir repris et surtout après y avoir ajouté une part très importante qui fera presque tripler l’ensemble par rapport au manuscrit original. Cette matière complémentaire, sans pour autant changer le sens du manuscrit initial, est mise en évidence par la découverte de la copie de l’original, retrouvée par Peter Hicks dans les archives de Lord Bathurst en 2005. Elle sera éditée avec le sous-titre Le Manuscrit original retrouvé, en octobre 2017, par les éditions Perrin avec la collaboration de la Fondation Napoléon. Découverte intéressante pour les historiens car elle permet de mesurer le « traitement » qui a donné lieu à la naissance du célèbre « Mémorial de Sainte-Hélène » !

MANUSCRIT RETROUVE

 

Emmanuel de Las Cases - Le Mémorial de Sainte-Hélène
Le manuscrit original retrouvé
Perrin - Fondation Napoléon - 2017.

 


Voilà ainsi Las Cases mis en cause dans le Figaro (édition du 28 avril 2017) qui annonce la parution du Manuscrit original retrouvé en titrant à la « une » :

« Exclusif : Las Cases a-t-il enjolivé les confidences de Napoléon à Sainte-Hélène ? ».

Thème repris en double page intérieure :

« Las Cases a-t-il « trahi » Napoléon dans le « Mémorial de Sainte-Hélène ? ».

Dernier grief : considérant que l’on ne trouve pas dans le manuscrit originel les expressions les plus célèbres de l’Empereur qui figurent dans le Mémorial de Sainte-Hélène, le Figaro interroge :

« Le comte de Las Cases aurait-il en publiant le « Mémorial » inventé certains propos fameux ? ».

Enjolivement, trahison, invention… Même assorties de prudents points d’interrogation, les allégations pèsent leur poids dans un domaine qui exige honnêteté intellectuelle.

Pour ses amis tarnais, cette honnêteté mise en cause est hors de doute. L’auteur s’est présenté en préambule de son ouvrage, a dit qui il était et ce qu’il avait fait dans toute sa vie qui précède sa présence à Sainte-Hélène. Les retraits visent des questions de forme, des détails superflus ôtés ainsi que des mises en cause susceptibles de nourrir procès ou saisie. Les ajouts, pratiquement un second Mémorial, traduisent tout ce que le Mémorialiste a jugé bon d’intégrer pour ajouter à son œuvre en puisant dans sa mémoire ou dans les témoignages d’autrui, jusqu’aux formules ciselées de l’Empereur qui portent la griffe de l’Aigle qui n’est pas le ton habituel de son confident.

L’intérêt du « Manuscrit retrouvé » est de prendre une nouvelle conscience de l’énorme travail réalisé par Las Cases, capable de retenir au vol la pensée fulgurante de Napoléon qui n’épargnait pas son scribe lequel travaillait pour lui dans des conditions éprouvantes et qui n’eut pas trop de quelques années supplémentaires pour donner à son témoignage le plein sens d’intérêt qu’il désirait lui donner.

Depuis deux siècles, les lecteurs du « Mémorial de Sainte-Hélène » ont reconnu dans le travail de Las Cases tout ce qu’il apportait à la connaissance de la complexité de Napoléon. Pour ses amis tarnais, le « Manuscrit original retrouvé », loin de le diminuer, permet d’approcher Las Cases au plus près, de partager sa manière de travailler, de peser et mesurer les questions l’ayant assailli, d’admirer la façon dont il a su mener à bien son entreprise sans concéder un iota à la vérité qui fut la sienne tout au long, tout en sachant éviter les écueils. Un parcours de mesure autant que de passion dans lequel le Tarn profond reconnaîtra toujours une démarche constituant le fond de son identité.

PHOTO2-INAUGURATION

Inauguration de l'exposition Las Cases, le 1er juin 2017 à Castres.
Jean-Pierre Gaubert, commissaire de l'exposition et Francis Carrade, réalisateur de la stèle de Blan, devant le Centre National et Musée Jean Jaurès.

 


retour rubrique Histoire - Las Cases


ACCUEIL